9

 

 

À propos de celle que l’on avait aimée plus que moi, je me rendis compte brusquement qu’il ne me restait plus qu’une journée pour vider son appartement. À minuit, toutes les affaires d’Alina devaient avoir été enlevées, faute de quoi le propriétaire aurait le droit de les jeter sur le trottoir. J’avais déjà tout emballé quelques semaines auparavant. Il ne me restait plus qu’à traîner les cartons jusqu’à la porte, appeler un taxi et proposer un généreux pourboire au chauffeur pour qu’il m’aide à les charger, avant de les apporter jusqu’au magasin, d’où je pourrais les faire réexpédier aux États-Unis.

J’étais surprise de voir à quel point j’avais perdu le compte des jours, mais il faut dire à ma décharge que j’avais dû combattre des monstres, subir un interrogatoire policier, fouiller un cimetière, convaincre mon père de rentrer à la maison, sauver la vie du frère d’un gangster, apprendre un nouveau métier et assister à une vente aux enchères illégale.

Voilà comment, dans l’après-midi du dimanche 31 août, date à laquelle expirait le bail d’Alina et jour où elle aurait dû appeler un taxi pour se rendre à l’aéroport, direction la Géorgie, pour reprendre avec moi nos interminables après-midi à la plage pendant l’été indien, je me retrouvai en train de secouer un parapluie ruisselant sur le palier de son appartement, tout en essuyant mes chaussures sur le paillasson posé devant sa porte. Je restai là quelques instants, dansant d’un pied sur l’autre, prenant de longues inspirations, avant de chercher mon poudrier dans mon sac pour ôter de mon œil la poussière qui le faisait larmoyer.

L’appartement d’Alina se trouvait au-dessus d’un pub dans Temple Bar District, non loin de Trinity College, qu’elle avait fréquenté pendant les premiers mois qui avaient suivi son arrivée à Dublin. Par la suite, elle avait cessé d’assister à ses cours, était peu à peu devenue soucieuse, avait commencé à perdre du poids et à se renfermer sur elle-même.

Certes, je comprenais que j’aie renâclé à faire le ménage dans son studio, mais à présent que j’étais devant sa porte, je ne m’expliquais pas comment j’avais pu oublier son journal. Alina était une diariste acharnée. Elle ne pouvait vivre sans son carnet de bord – elle en tenait un depuis sa plus tendre enfance –, et pas un jour ne passait sans qu’elle y consigne ses impressions et les menus événements de sa vie. Je le sais, j’avais toujours fureté dans ses affaires pour trouver son journal et le lire sans vergogne, avant de lui reprocher amèrement de choisir pour confident un stupide cahier plutôt que sa sœur unique.

Pendant son séjour irlandais, elle avait dû confier le plus important secret de sa vie à son journal, sans m’en dire un seul mot. Je devais impérativement retrouver ce carnet. Soit quelqu’un m’avait doublée et l’avait détruit, soit il existait encore, quelque part dans Dublin, une trace écrite de tout ce qui était arrivé à Alina dans ce pays.

Ma sœur était d’une précision presque maladive. Dans ces pages se trouvait forcément le compte rendu de tout ce qu’elle avait vu et ressenti, des endroits qu’elle avait visités, de ce qu’elle avait appris, de la façon dont elle avait découvert ce que nous étions, elle et moi, du piège que lui avait tendu le Haut Seigneur pour la séduire, ainsi, je l’espérais, qu’une solide piste menant au Sinsar Dubh : qui le détenait, qui le transportait, et pour quelles mystérieuses raisons. « Je sais à quoi cela ressemble, avait-elle dit dans son dernier message téléphonique, affolée, et où… » L’appel se terminait abruptement.

C’était évident, Alina était sur le point de dire qu’elle savait où se trouvait le Sinsar Dubh. J’espérais qu’elle aurait noté l’endroit dans son journal et dissimulé celui-ci en un lieu où elle estimait que moi seule pourrais le retrouver – un petit jeu auquel j’avais toujours excellé. Elle m’avait forcément laissé un indice pour me mener à la cachette de ce cahier, le plus important de tous ceux qu’elle ait jamais tenus !

J’insérai la clé dans la serrure, fis jouer la poignée pour la tourner – l’ouverture était toujours un peu difficile –, poussai la porte… et regardai, bouche bée, la fille qui se tenait à l’intérieur et brandissait une batte de base-ball d’un air résolu.

— Donnez-moi ça, ordonna-t-elle en tendant la main vers moi et en désignant la clé du regard. Je vous ai entendue ; j’ai déjà appelé la police. Où avez-vous eu ce double de chez moi ?

Je glissai la clé dans ma poche.

— Qui êtes-vous ?

— La locataire de cet appartement. Et vous ?

— Vous ne pouvez pas habiter ici, c’est chez ma sœur ! En tout cas, jusqu’à ce soir, minuit.

— Impossible. J’ai signé le bail il y a trois jours et payé d’avance. Si cela vous pose un problème, débrouillez-vous avec le propriétaire.

— Vous avez vraiment appelé la police ?

Elle me jaugea d’un regard froid.

— Non, mais je n’hésiterai pas à le faire.

Je réprimai un soupir de soulagement. Je n’avais pas encore vu l’inspecteur Jayne ce jour-là, et ce répit était bienvenu. Il aurait été trop heureux de pouvoir m’arrêter pour être entrée par effraction dans un lieu privé, ou je ne sais quel chef d’accusation ! Je regardai derrière la fille.

— Où sont les affaires de ma sœur ?

Tous les cartons que j’avais préparés avec soin avaient disparu. Il n’y avait plus trace de poudre à empreintes sur le plancher, plus un seul morceau de verre brisé, plus le moindre débris de meuble réduit en allumettes, plus un lambeau de tenture déchirée. Toute trace de vandalisme avait disparu. L’appartement, à présent dans un état impeccable, avait été repeint et décoré avec goût.

— Que voulez-vous que j’en sache ? L’endroit était vide quand j’ai emménagé.

— Qui vous l’a loué ? demandai-je, abasourdie.

Je m’étais laissé dépasser. Pendant que j’hésitais à détruire les murs et le plancher afin de retrouver le journal, pendant que mon attention était accaparée par d’autres urgences, j’avais perdu toutes les affaires personnelles de ma sœur.

Quelqu’un s’était installé dans son appartement. Ce n’était pas juste. J’avais encore droit à une journée !

J’aurais pu argumenter jusqu’à ce que le soleil se couche, que l’horloge sonne minuit et que l’écho du douzième coup s’éteigne si la nouvelle locataire n’avait soudain déclaré :

— Le patron du bar s’occupe de l’appartement, mais il vaudrait mieux vous adresser directement au propriétaire.

— Qui est-ce ?

Elle esquissa un geste évasif.

— Je ne l’ai jamais rencontré. C’est un type dénommé Barrons.

 

Un rat de laboratoire enfermé dans un labyrinthe de verre, courant frénétiquement dans des couloirs sans s’apercevoir qu’il s’agissait d’impasses, sous le regard de gens hilares en blouse blanche. Voilà comment je me sentais en cet instant précis.

Sans un mot, je quittai la fille et dévalai l’escalier. Je remontai l’allée qui longeait l’arrière du pub, me blottis dans un renfoncement du mur pour me protéger du crachin et appelai Barrons sur le téléphone portable qu’il avait déposé pendant la nuit devant ma porte, avec trois numéros déjà programmés.

Le premier était identifié par les lettres JB ; c’était celui que je venais de composer. Les deux autres défiaient ma sagacité : SVNPPMJ et SVEETDM.

Il décrocha, manifestement contrarié.

— Oui ? grommela-t-il.

Derrière lui, il me sembla entendre des bruits d’objets fracassés et de verre brisé.

— Parlez-moi de ma sœur, ordonnai-je.

— Eh bien… elle est morte ? dit-il avec une pointe de sarcasme.

Un nouveau craquement résonna près de lui.

— Où sont ses affaires ?

— En haut, dans la chambre à côté de la vôtre. À quoi rime cet interrogatoire, mademoiselle Lane, et ne pourrait-il pas attendre ? Je suis un peu occupé, pour l’instant.

— En haut ? répétai-je. Alors, vous avouez que c’est vous qui les avez ?

— Où est le problème ? Je suis le propriétaire de l’appartement, et vous n’avez pas remis les lieux en ordre à temps.

— J’aurais pu. J’avais encore la journée.

— Vous étiez blessée, et vous aviez autre chose à faire. Je m’en suis occupé à votre place.

Un fracas assourdissant ponctua ses paroles.

— Je vous en prie, ajouta-t-il, ne me remerciez pas.

— Vous êtes le propriétaire de l’appartement où logeait ma sœur et vous ne vous êtes jamais donné la peine de me le dire ? Comment avez-vous pu prétendre que vous ne la connaissiez pas ?

Je criais pour me faire entendre par-dessus le grésillement de l’appareil. Peut-être aussi parce que j’étais furieuse. Il m’avait menti comme un arracheur de dents ! À quel autre sujet me menait-il en bateau ? Un coup de tonnerre au-dessus de ma tête me fit sursauter. Un jour, je m’enfuirais loin de Jéricho Barrons et de cette maudite pluie. Un jour, je trouverais une plage au soleil, j’y poserais mes f…leurs, et j’y prendrais racine.

— Et d’abord, pourquoi votre nom ne figurait-il pas sur la lettre que nous avons reçue au sujet des dégâts commis dans l’appartement ?

— C’est le gestionnaire des appartements que je loue qui l’a envoyée. Quant à votre sœur, je ne la connaissais pas. Je n’ai appris que j’étais son propriétaire que quand mon chargé d’affaires m’a appelé il y a quelques jours pour m’informer d’un problème dans l’une de mes propriétés.

J’entendis un coup étouffé, puis Barrons laissa échapper un gémissement.

— Il a téléphoné chez vos parents, à Ashford, mais personne n’a répondu. Il n’a pas voulu prendre la responsabilité de faire mettre sur le trottoir les affaires d’une locataire. Quand il a prononcé le nom de celle-ci, j’ai fait le rapprochement et pris les choses en main.

Un nouveau cri de douleur résonna, et il me sembla que le téléphone que tenait Barrons venait d’être projeté à terre.

Étrangement, toute ma colère était retombée. Quelques instants auparavant, j’étais persuadée d’avoir mis le doigt sur un secret fondamental. Sur le moment, il m’avait paru évident que Barrons me cachait je ne sais quelle relation personnelle entre Alina et lui, dont je venais de découvrir la preuve, et je m’étais convaincue que cela démontrait sans conteste sa responsabilité dans mes malheurs. Tout allait s’expliquer comme par enchantement ; ma vie allait reprendre un cours à peu près normal. Seulement, ses arguments étaient imparables. Deux de mes clients du Brickyard possédaient eux aussi plusieurs appartements qu’ils ne géraient pas eux-mêmes, sauf en cas de problème. Ils ne mettaient jamais le nez dans la paperasse à moins d’un litige important et se fichaient comme d’une guigne de l’identité de leurs locataires.

— Vous ne trouvez pas que c’est une sacrée coïncidence ? demandai-je lorsqu’il fut de nouveau en ligne.

Son souffle était saccadé, comme s’il courait ou qu’il se battait, ou les deux. Je tentai de me représenter avec qui – ou quoi – Barrons pouvait être aux prises pour peiner autant, puis je me ravisai. Je n’avais aucune envie de le savoir.

— Je ne compte plus le nombre de coïncidences que j’ai dû avaler. Et vous ?

— Moi non plus, répondis-je, mais j’ai bien l’intention de comprendre ce qui se passe.

— Excellente idée, mademoiselle Lane.

Il avait parlé d’un ton glacial. Manifestement, il était impatient de raccrocher.

— Encore une minute. Qui est SVNPPMJ ?

— Composez ce numéro au cas où vous ne pourriez pas me joindre, répondit-il d’un ton sec.

— Et SVEETDM ?

— Au cas où vous seriez en train de mourir, mademoiselle Lane, mais un petit conseil : n’utilisez ce numéro que si vous êtes positivement certaine que c’est bien le cas, sinon je me chargerai de vous achever moi-même.

Derrière lui résonna le rire d’un autre homme.

Puis la communication fut coupée.

 

— Toi aussi, tu les vois, dis-je à voix basse, le cœur battant.

Tout en parlant, je m’étais assise sur le banc à côté de la fille, une rousse au visage constellé de taches de rousseur. Je venais tout juste de la repérer. Une sidhe-seer, comme moi ! Sur le campus de Trinity College !

Alors que j’étais en chemin pour rentrer au magasin, le ciel s’était éclairci, et j’avais décidé de faire un détour par Trinity College pour observer les passants. Les rayons du soleil peinaient à percer l’épaisse couverture nuageuse, mais l’après-midi était doux, et de nombreux étudiants avaient envahi les vastes pelouses, les uns pour réviser leurs cours, les autres pour discuter et rire.

« Lorsque vous croiserez une créature en provenance de Faery, m’avait suggéré Barrons, ne regardez pas le faë, mais repérez ceux qui, dans la foule, l’ont également remarqué. »

Un conseil qui s’était révélé plein de bon sens. Après deux heures d’attente, ma patience avait été récompensée. Certes, l’arrivée massive de faës dans la ville m’y avait aidée : toutes les demi-heures en moyenne, un rhino-boy passait, accompagné de l’une des nouvelles recrues unseelie. Ou alors, je voyais apparaître une créature d’un type nouveau, comme celle que ma voisine et moi venions d’observer à la dérobée.

La fille leva les yeux de son livre et me jeta un regard de parfaite incompréhension. Un halo de boucles cuivrées encadrait son visage aux traits fins, au nez petit et droit, aux lèvres doucement renflées et au menton un peu pointu et volontaire. Je lui donnais quatorze ans, quinze tout au plus, mais elle dissimulait admirablement sa nature de sidhe-seer. En comparaison, je me trouvais d’une épouvantable maladresse. Avait-elle appris seule à se contrôler, ou quelqu’un le lui avait-il enseigné ?

— Pardon ? demanda-t-elle en battant des cils.

D’un regard, je désignai le faë. La créature, étendue sur le dos sur le rebord d’une fontaine à plusieurs étages, semblait occupée à savourer les brèves apparitions du soleil. Elle était mince, diaphane, et très jolie. Son visage délicat, semblable à ceux des fées nimbées de mystère si répandues dans l’iconographie moderne, était auréolé d’une masse de cheveux soyeux. Son corps nu et androgyne révélait une poitrine menue, et elle ne s’enveloppait d’aucun voile d’illusion. À quoi bon ? Les humains ne pouvaient la voir et, d’après Barrons, la plupart des faës croyaient les sidhe-seers disparus depuis bien longtemps, ou réduits à un nombre insignifiant d’individus.

Je tendis mon journal à ma voisine, ouvert à la page où j’avais esquissé la silhouette de l’apparition. La fille tressaillit, ferma le cahier d’un geste brusque et se tourna vers moi.

— Tu es cinglée ou quoi ? Si tu veux te faire trucider, c’est ton problème, mais fiche-moi la paix !

Elle rassembla son livre, son sac à dos et son parapluie, se leva d’un bond, puis s’élança d’un pas aussi vif que gracieux.

Sans réfléchir, je me ruai à sa suite. J’avais des milliers de questions à lui poser. Comment avait-elle découvert qui elle était ? Qui le lui avait appris ? Où était cette personne ? Il fallait que j’en sache plus sur mon propre héritage, mais je répugnais à me renseigner auprès de Barrons, qui me manipulait sans vergogne. Et puis, pourquoi m’en cacher ? Même si cette jeune fille était ma cadette de plusieurs années, j’étais seule à Dublin, et j’avais tout simplement besoin d’une amie.

J’avais une bonne foulée, et par chance, je portais des tennis tandis qu’elle était chaussée de sandales. Elle avait beau remonter les trottoirs au pas de course, se faufilant entre les hordes de touristes et les petits vendeurs des rues, je gagnais peu à peu du terrain. Finalement, elle s’engouffra dans une ruelle, s’immobilisa et pivota sur ses talons. Rejetant ses boucles en arrière d’un mouvement de tête rapide, elle me toisa avec défi. Puis, de ses yeux de chat aux lumineuses nuances vert et or, elle parcourut d’un regard fulgurant l’allée, le trottoir, les murs, les toits et, enfin, le pan de ciel qui se découpait au-dessus de nous.

— Qu’y a-t-il ? demandai-je en levant les yeux, soudain alarmée.

— Putain, je rêve ! Comment tu as fait pour survivre jusqu’à aujourd’hui ?

Elle était bien trop jeune pour être aussi grossière.

— Surveille ton langage, ne pus-je m’empêcher de répliquer. Ma mère t’aurait déjà savonné la bouche pour t’apprendre à parler correctement à tes aînés.

Elle me décocha un regard hostile.

— Et la mienne, riposta-t-elle, t’aurait traînée devant le Conseil pour qu’on t’enferme. Tu te rends compte des risques que tu fais courir aux autres et à toi-même ?

— Le Conseil ? répétai-je. Quel Conseil ?

Était-ce possible ? Nous étions donc si nombreux ? Les nôtres étaient-ils organisés, comme Barrons affirmait qu’ils l’avaient été autrefois ?

— Tu veux dire, un conseil de sidhe

— La ferme ! siffla-t-elle entre ses dents. Tu veux nous faire dézinguer ou quoi ?

— Il y en a donc un ? insistai-je. Un conseil de… tu sais… de personnes comme nous ?

Dans ce cas, il fallait que je rencontre ces gens de toute urgence. S’ils n’avaient pas encore appris l’existence du Haut Seigneur et de son portail entre les mondes, je devais les en informer. Peut-être pourrais-je alors remettre cette sale histoire entre les mains de quelqu’un d’autre – voire du Conseil tout entier –, me désintéresser de tout cela, ne plus avoir à m’occuper que de ma vengeance, et même trouver de l’aide pour l’accomplir… Alina connaissait-elle l’existence de ces sidhe-seers ? Les avait-elle rencontrés ?

— Tu vas la boucler, oui ?

De nouveau, elle parcourut le ciel d’un regard rapide. Je n’aimais pas du tout cela.

— Que cherches-tu là-haut ?

Elle ferma les yeux en secouant la tête, comme si elle priait Jésus, Marie, Joseph et tous les saints du Paradis de lui accorder de la patience. Puis elle rouvrit les paupières et, se précipitant vers moi, arracha mon journal de sous mon bras.

— Stylo, ordonna-t-elle.

J’en pris un dans mon sac et le déposai sèchement dans sa paume tendue.

« Toi et moi sommes ici, écrivit-elle, mais le vent est partout. Ne lui lance aucune parole si tu ne veux pas qu’elle se retourne contre toi. »

— Quel mélo ! raillai-je dans l’espoir de chasser l’angoisse qui me serrait le cœur.

— C’est l’une des premières règles qu’on nous apprend, répondit-elle sans cacher son mépris. À trois ans, je pouvais la réciter par cœur. Tu devrais la connaître, toi qui es vieille.

— Je ne suis pas vieille, rectifiai-je en me redressant, piquée au vif. Qui t’a enseigné cette règle ?

— Ma grand-mère.

— Eh bien, justement. Moi, j’ai été adoptée. Personne ne m’a jamais rien dit. J’ai tout découvert par moi-même et je trouve que je m’en suis plutôt bien sortie. Comment crois-tu que tu te serais débrouillée, sans personne pour t’aider ?

Elle esquissa un haussement d’épaules évasif et me jeta un regard de dédain – façon de me signifier, je suppose, qu’elle aurait fait bien mieux que moi, elle qui était si intelligente et si douée. Oh, l’arrogance de la jeunesse ! Et comme mon adolescence me semblait loin !

— Eh bien, qu’y a-t-il de si passionnant, là-haut ? ajoutai-je.

Étais-je bel et bien un rat de laboratoire, survolé en ce moment par des oiseaux de proie ? La rouquine tourna la page pour y tracer des lettres. Malgré la couleur rose de l’encre, les mots prirent un relief sombre et effrayant sur la feuille vierge. Des Traqueurs. Le frisson glacé que j’avais tenté en vain de dissiper se transforma soudain en une lame qui me traversa le dos pour se planter dans mon cœur. Les Traqueurs étaient une terrifiante caste d’Unseelie ailés dont la principale mission était de chasser et d’abattre les sidhe-seers.

Elle referma le cahier d’un geste sec.

On en a observé, précisa-t-elle dans un mouvement de lèvres silencieux.

À Dublin ? demandai-je sur le même mode, horrifiée, en scrutant le ciel avec inquiétude.

Elle hocha la tête.

— Comment est-ce que tu t’appelles ?

— Mac, répondis-je dans un souffle, de peur que le vent emporte mes paroles. Et toi ?

— Dani, avec un « i ». Mac comment ?

— Lane.

Elle n’avait pas besoin d’en savoir plus pour l’instant.

— Donne-moi tes coordonnées, Mac.

J’entrepris de réciter mon nouveau numéro de portable, mais elle secoua la tête avec impatience.

— Quand ça commence à chauffer, on s’en tient aux bonnes vieilles méthodes. Ton adresse ?

Je lui indiquai celle de Barrons – Bouquins & Bibelots.

— C’est aussi là que je travaille. Pour Jéricho Barrons, précisai-je.

Je guettai sur son visage une réaction.

— C’est l’un des nôtres, ajoutai-je.

Elle me jeta un regard étrange.

— Vraiment ?

En hochant la tête, je tournai une page dans mon cahier.

« Combien sommes-nous ? » écrivis-je.

« Ce n’est pas à moi de répondre à tes questions, griffonna-t-elle. Quelqu’un te contactera bientôt. »

— Quand ?

— Aucune idée. Tu verras bien.

— J’ai besoin de réponses. Écoute, Dani, j’ai vu des choses étranges… Est-ce que votre Conseil sait au moins ce qui se passe dans cette ville ?

Elle roula des yeux furieux. Je poussai un soupir d’exaspération.

— Très bien, mais dis à ce « quelqu’un » de se dépêcher. La situation se dégrade de jour en jour.

J’ouvris de nouveau mon cahier. « Je suis une null, écrivis-je. Je connais le Haut Seigneur et le Sinsar… »

En un éclair, le journal fut arraché de mes mains et la page déchirée. Dani avait agi avec une telle rapidité que je tenais toujours mon stylo au-dessus de la page qui avait disparu, attendant de former la lettre D.

Personne n’était capable d’une telle prouesse. C’était tout simplement inhumain. Intriguée, j’observai son visage effronté.

— Comment as-tu fait cela ?

— Moi aussi, figure-toi, j’ai des talents cachés qui se sont réveillés au bon moment, répondit-elle en me scrutant d’un air de défi. Chaque jour qui passe, on en apprend un peu plus sur ce qu’on était autrefois et sur ce qu’on est en train de devenir.

— Tu m’as laissée te rattraper, dis-je d’un ton accusateur.

Elle aurait pu m’échapper en un clin d’œil. Que j’avais été naïve ! Cette gamine était sans doute capable de sauter par-dessus une maison.

— Et alors ?

— Pourquoi as-tu fait cela ?

Elle haussa les épaules.

— Bon, j’aurais pas dû, mais j’étais trop curieuse. Rowena a envoyé tout un groupe des nôtres à ta recherche, pour découvrir où tu habitais. Bien entendu, c’est moi qui t’ai vue la première. Elle nous a laissé entendre que tu étais très puissante…

Elle me décocha un regard dédaigneux.

— Franchement, on dirait pas.

— Qui est Rowena ?

Je commençais à en avoir une vague idée, qui ne me plaisait pas du tout.

— Une vieille. Cheveux gris, l’air fragile…

Je l’aurais parié ! Cette Rowena n’était autre que la sorcière qui m’avait agressée le soir de mon arrivée à Dublin, alors que mon regard s’attardait un peu trop à son goût sur le premier faë que je rencontrais. Par la suite, elle avait assisté sans intervenir à la tentative de viol que V’lane m’avait fait subir au National Muséum, puis elle m’avait suivie en me répétant que j’étais une enfant adoptée.

— Mène-moi à elle, dis-je.

J’en avais terriblement voulu à cette vieille femme de saccager mes certitudes, mais aujourd’hui, j’avais besoin qu’elle me dise ce qu’elle savait. Elle m’avait appelée O’Connor et avait cité une personne prénommée Patrona. Connaissait-elle le secret de mes origines ? J’osais à peine formuler les questions qui en découlaient, aussi effrayantes que fascinantes, et dont les accents de trahison envers mes parents, envers tout ce que j’avais été et fait pendant vingt-deux ans, me serraient le cœur : avais-je de la famille en Irlande ? Un cousin, un oncle… ou, qui sait, une autre sœur ?

— C’est Rowena qui choisira le moment, répondit Dani.

Je maugréai et m’apprêtai à protester, mais elle me fit taire d’un geste.

— Stop ! s’écria-t-elle. Pas la peine de te fâcher contre moi. Je suis seulement la messagère, et je t’en ai déjà trop dit. Elle va me remonter les bretelles quand elle apprendra que je t’ai parlé.

Elle me décocha un sourire lumineux.

— Enfin, elle s’en remettra… Elle m’a à la bonne. J’en ai déjà dégommé quarante-sept.

Dégommé ? Quarante-sept ? Elle ne parlait pas de faës tout de même ? Et avec quoi cette gamine effrontée les avait-elle… dégommés ?

En la voyant pivoter, je compris que cette fois-ci, je n’aurais aucune chance de la rattraper. Pourquoi ne possédais-je pas, moi aussi, cette formidable vitesse surhumaine ? J’en aurais eu l’usage, et plus souvent qu’à mon tour…

— Au fait, Mac, me lança-t-elle par-dessus son épaule. Encore un petit détail – et si tu dis à Rowena que je t’en ai parlé, je nierai en bloc, mais il faut tout de même que tu le saches. Il n’y a pas d’hommes parmi nous. Il n’y en a jamais eu. Je ne sais pas qui est ton boss, mais il n’est pas des nôtres.

 

Je repartis par Temple Bar District en louvoyant entre les buveurs au verbe haut qui sortaient en titubant des pubs, au son de la musique qui jaillissait à flots des fenêtres ouvertes.

La première fois que j’étais venue dans ce quartier, mon passage avait été salué par des sifflements et des appels gouailleurs, mais je ne m’en étais pas formalisée, bien au contraire. À cette époque, j’adorais attirer les regards et je choisissais mes tenues et mes accessoires en conséquence. Ce soir, avec mon jean baggy, mon tee-shirt ample, mes tennis, mon visage dénué de toute trace de maquillage et mes cheveux plaqués par la pluie, je passais parfaitement inaperçue parmi les fêtards qui peuplaient le bruyant sanctuaire du craic[2] à mon grand soulagement. La seule foule qui m’intéressait était celle de mes pensées – une multitude de questions qui se bousculaient dans mon esprit, l’une chassant l’autre, comme avides de capter mon attention.

Jusqu’à présent, Barrons avait été ma seule et unique source d’informations sur ce que j’étais, et sur ce qui se passait autour de moi. Je venais de découvrir qu’il y en existait une autre et qu’elle semblait très bien organisée. D’autres sidhe-seers, dont des gamines de quatorze ans qui n’avaient pas froid aux yeux et étaient capables d’agir à une vitesse surhumaine, combattaient les faës et les tuaient.

Jusqu’à présent, je n’avais vu en Rowena qu’une vieille femme acariâtre, vaguement informée de l’existence d’autres de nos semblables, et assez âgée pour avoir quelques notions de l’héritage sidhe-seer. Comment aurais-je pu imaginer qu’elle appartenait à la communauté sidhe-seer, un réseau bien vivant, doté d’un Conseil et de lois, au sein duquel les mères apprenaient à leurs filles à vivre avec leur don ? L’ancienne caste dont Barrons m’avait parlé au cimetière était encore de ce monde.

J’étais furieuse que cette Rowena ne m’ait pas proposé de rejoindre les siennes – les miennes – le soir où j’avais fait sa connaissance et où, apercevant mon premier faë, je me serais trahie si elle n’était pas intervenue.

Non seulement elle ne me l’avait pas proposé mais au lieu de me prendre sous son aile et de m’aider à survivre, moi qui avais tant besoin d’aide, elle m’avait chassée en m’envoyant me faire tuer ailleurs !

C’est d’ailleurs exactement ce qui me serait arrivé si mon chemin n’avait pas croisé celui de Jéricho Barrons.

Sans guide, privée de toute information sur ma véritable nature, j’aurais fini assassinée par l’un ou l’autre des Unseelie qui hantaient la grande cité, faute d’avoir compris le danger que représentaient ces créatures. Peut-être aurais-je été victime d’une Ombre, qui m’aurait réduite en lambeaux parcheminés lors de ma première incursion dans la Zone fantôme. Peut-être l’Homme Gris aurait-il anéanti ma beauté – bien plus rapidement et efficacement que ne l’avaient fait le sacrifice de ma chevelure de rêve et l’abandon de mes tenues sexy pour une garde-robe calamiteuse. Peut-être la Chose aux mille bouches m’aurait-elle dévorée toute crue. Peut-être, ayant attiré l’attention du Haut Seigneur, serais-je devenue son nouveau détecteur personnel d’Objets de Pouvoir plutôt que celui de Barrons, un jouet humain qu’il aurait utilisé à loisir… avant de le massacrer, exactement comme il avait détruit Alina.

Quoi que fût Barrons par ailleurs, il était celui qui m’avait sauvé la vie. Il m’avait ouvert les yeux, avait fait de moi une arme vivante. Rowena et sa joyeuse bande de sidhe-seers ne pouvaient pas en dire autant. Pour ma part, je préférais une affection un peu rugueuse à un cœur sec.

« Il n’y a pas d’hommes parmi nous, m’avait dit Dani. Il n’y en a jamais eu. »

Eh bien, elle ne savait pas tout. Barrons pouvait voir les faës. C’était lui qui m’avait révélé qui ils étaient, nous les avions combattus côte à côte, et personne, surtout pas Rowena, ne pouvait se vanter d’en avoir fait autant pour moi.

J’en étais certaine, celle-ci ne tarderait pas à réapparaître. Elle avait envoyé ses sidhe-seers à ma recherche. Elle savait que je détenais une relique faë. Le jour où V’lane avait tenté de m’imposer ses caprices érotiques, elle m’avait vue le menacer avec la pointe de lance, et lorsque je m’étais enfuie, elle m’avait rattrapée pour tenter de m’entraîner je ne sais où. Seulement, son intervention avait été trop timorée, et bien trop tardive. Ce jour-là, au musée, elle m’avait abandonnée une seconde fois. Je m’étais dévêtue en public pour m’offrir, telle une chatte en chaleur, à un faë de volupté fatale, et elle n’avait pas levé le petit doigt ! Lorsque j’avais voulu connaître la raison de son indifférence, elle m’avait froidement répondu : « Un de trahi, un de perdu. Deux de trahis, deux de perdus. Nous sommes trop peu nombreux pour prendre le risque de nous condamner en intervenant pour aider l’un des nôtres. Chacun d’entre nous est précieux. »

Cette vieille femme était probablement quelqu’un d’important. Elle détenait des informations sur moi et sur mes origines. Voilà pourquoi, lorsqu’elle m’enverrait chercher, je répondrais à son invitation.

Avec la plus grande méfiance.

Désormais, nous allions inverser les rôles. Lors de notre troisième rencontre, ce serait à elle de faire ses preuves.

 

Lorsque j’arrivai au magasin, la nuit était tombée. Je contournai l’immeuble pour me diriger vers la porte de derrière, une lampe torche dans chaque main. Au passage, je remarquai que Barrons avait doublé de planches la fenêtre brisée du garage.

N’allez pas croire que ma vigilance envers les Ombres avait viré à la paranoïa. Mais l’ennemi avait installé un camp de base au pied de la porte de service de l’immeuble, et, en soldat consciencieux, j’y jetais régulièrement un coup d’œil, afin de m’assurer qu’il ne s’y passait rien de nouveau.

De fait, je ne notai aucun changement. Les projecteurs extérieurs étaient allumés, les fenêtres fermées. Soulagée, j’essuyai mon front du revers de la main. Depuis la nuit où les Ombres avaient pénétré à l’intérieur du bâtiment, elles hantaient mes pensées, en particulier la plus grande et la plus menaçante d’entre elles, celle qui m’avait défiée dans le salon et qui se trouvait en ce moment même à la lisière de l’obscurité, agitée de mouvements nerveux.

Je réprimai un sursaut.

Elle venait d’étirer de sa masse informe une sorte de bras, dont l’extrémité offrit soudain une furieuse ressemblance avec un poing d’où jaillissait un doigt levé vers le ciel. Où la créature avait-elle appris un si vilain geste ? Pas auprès de moi, parole… d’honneur. Je secouai la tête pour en chasser les nouvelles questions qui naissaient dans mon esprit. J’avais trop de préoccupations pour m’attarder sur de telles réflexions ! D’ailleurs, cela n’avait sans doute été qu’une illusion d’optique, rien de plus.

Je gravis rapidement les marches du perron. Je me trouvais sur la dernière, la main sur la poignée de la porte, lorsque je perçus une présence derrière moi.

Ténébreuse.

Glaciale.

Plus vaste que la nuit.

Je pivotai sur mes talons, irrésistiblement attirée, comme si un trou noir s’était ouvert dans mon dos et que j’étais aspirée par sa formidable puissance d’attraction.

Le spectre se tenait là, parfaitement immobile, m’observant en silence. Les plis couleur d’encre de son ample suaire bruissaient dans la brise nocturne.

Je fronçai les sourcils. La brise nocturne ? Il n’y avait pas un souffle dans la petite allée ! Aucun de mes cheveux ne bougeait. Je léchai mon doigt et levai la main. L’air était stagnant, presque lourd.

Et cependant, la longue robe à capuche de l’apparition dansait dans le vent, agitée par des rafales qui n’existaient pas.

Très bien. Si je cherchais une preuve que ce spectre n’était qu’une illusion, je la tenais. Manifestement, ce fantôme était le fruit de mon imagination – fantastique condensé d’images puisées dans mes lectures d’enfance et dans les rares films d’horreur que j’avais vus au cours de ma vie. Dans ma banque d’images personnelle, sa cape claquait toujours dans le vent, son visage restait obstinément dissimulé dans l’ombre de sa capuche, et il portait en permanence une sorte de faux constituée d’une lame étincelante fichée dans un long manche de bois couleur ivoire, identique en tout point à celle qu’il brandissait à présent. La ressemblance était parfaite. Beaucoup trop parfaite.

Pourquoi m’infligeais-je cela ?

— Je ne comprends pas, murmurai-je.

Bien sûr, le spectre demeura muet. Il ne parlait pas, et ne le ferait jamais. Pour la bonne raison que la Mort ne se tenait pas dans cette allée devant moi, attendant de poinçonner mon ticket et de reprendre ses jetons. La Camarde ne me tendait pas mon manteau, façon de me faire comprendre sans ambiguïté que la danse était finie, le bal terminé, et que le jour ne se lèverait plus pour moi.

Et s’il me fallait une confirmation supplémentaire que ce spectre n’était rien de plus qu’un fantôme d’opérette, une vision née de mon imagination enfiévrée, je n’avais qu’à me souvenir que ni Barrons, ni Jayne, ni Derek O’Bannion ne l’avaient vu, alors qu’il se trouvait tout près d’eux. L’indifférence des deux derniers n’était pas un élément décisif, mais celle de Barrons, si. Bon sang, cet homme pouvait humer sur moi l’odeur d’un baiser. Rien ne lui échappait !

— C’est parce que j’ai tué Rocky O’Bannion et ses hommes ? demandai-je dans un murmure. C’est pour cette raison que je te vois tout le temps ? Parce que j’ai ramassé leurs vêtements pour les jeter à la poubelle, au lieu de les envoyer à la police ou de les rendre à leurs femmes ?

Comme me l’avaient appris les cours de psychologie que j’avais suivis, l’esprit humain, même en parfaite santé, pouvait se jouer des tours à lui-même. Or, le mien n’était pas en parfaite santé, loin de là. Il portait le fardeau d’innombrables regrets, de projets de vengeance, de péchés de plus en plus fréquents.

— Je sais que ce n’est pas à cause de tous ces Unseelie que j’ai abattus, ni du vampire Mallucé que j’ai poignardé. Parce que ça, j’en suis plutôt fière.

J’observai l’apparition quelques instants. Jusqu’où devrais-je être honnête avec moi-même pour m’en débarrasser ?

— C’est parce que j’ai laissé maman à Ashford, folle de chagrin, et que j’ai peur qu’elle ne guérisse jamais si je ne reviens pas ?

L’inquiétante créature avait-elle commencé à prendre forme dans mon esprit depuis plus longtemps que cela ? Avait-elle semé ses graines de noirceur par un après-midi ensoleillé, alors que j’étais étendue au bord de la piscine, à peaufiner mon bronzage en écoutant de la musique légère, pendant qu’à six mille kilomètres de là, ma sœur agonisait dans une mare de sang, au fond d’une ruelle sordide de Dublin ?

Venait-elle me hanter parce que, semaine après semaine, mois après mois, j’avais passé des heures au téléphone avec Alina sans jamais déceler la moindre fêlure dans sa voix, sans être capable une seule fois de m’extraire suffisamment de mon petit paradis pour m’apercevoir que sa vie à elle était devenue un enfer ? Parce que j’avais laissé tomber mon portable dans l’eau et tardé à le remplacer, ratant ainsi l’ultime appel au secours de ma sœur, ainsi que ma dernière chance de lui parler ?

— C’est parce que je l’ai trahie ? C’est cela, n’est-ce pas ? Je te vois parce que j’ai honte d’être celle de nous deux qui a survécu ?

Les plis de la robe du spectre ondulèrent, voile de ténèbres sans nom, sans conscience, lisse comme la soie, sombre promesse d’oubli. Celui que, à mon insu, je recherchais depuis des semaines ? La vie m’était-elle devenue si insupportable que je n’avais plus qu’une idée : la fuir ? Ne cherchais-je pas du réconfort dans la perspective de quitter cette vallée de larmes ?

Non, tout ceci était bien trop alambiqué pour moi. Je n’avais aucune tendance suicidaire ! J’étais une irréductible optimiste, et aucun fantôme, aucun sentiment de culpabilité au monde n’y changerait rien.

Alors quoi ? Je ne voyais pas ce que j’aurais eu d’autre à me reprocher et je n’étais pas d’humeur à chercher plus longtemps. J’avais autant envie de commencer une psychothérapie que, disons, de me faire arracher une dent saine.

En revanche, je n’avais rien avalé depuis le petit déjeuner, mes pieds me faisaient souffrir le martyre – j’avais marché toute la journée – et j’étais épuisée. Tout ce qu’il me fallait, c’était un bon repas, un bon feu et un bon bouquin.

Au fait, n’étais-je pas capable de bannir mes propres démons ? Refoulant une désagréable sensation de ridicule, je fis un essai.

— Arrière, suppôt de Satan ! m’écriai-je en lui lançant l’une de mes lampes torches d’un geste théâtral.

L’appareil traversa l’apparition et alla heurter le mur de brique derrière elle. Lorsqu’il se fracassa sur le pavé, ma Faucheuse avait disparu.

Je tentai de me convaincre qu’elle ne reviendrait pas de sitôt.

Fièvre Rouge
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